Homélie du dimanche 5 juin

Deux mille fois célébré, ou peut-être même beaucoup plus, l’Esprit saint a-t-il encore un mot à dire, un angle mort à mettre en feu, une parole à glossifier1 ? Et comment une Personne sans visage pourrait-elle parler la langue d’une humanité qui ne sait même plus le sens des mots qu’elle emploie si souvent par mimétisme ?

Pourtant cette fête nous ressert chaque an les mêmes mots mystérieux, la même proposition sans fond, la même image ignifugée : des langues lumineuses sur des têtes apostoliques. Le manuscrit bibliquement noirci de mots sans queue ni tête, tous réunis ensemble à touche-touche, tous synergiquement traversés du génie humain de chacun de ses co-auteurs et de l’Esprit, –ce manuscrit donc –parle de « langues » et non pas de « flammes ». Continuant parfaitement l’œuvre théandrique du Fils dont l’humanité est remontée vers notre Père, l’Esprit se pose aujourd’hui sur des têtes et dans des coeurs comme l’unique grammaire de la compréhension de ce Verbe, c’est à dire comme le grand Agent de la communication internationale de la charité divine.

Oui l’Esprit agit tous ceux sur lesquels Il vient reposer et les poussent hors d’eux-mêmes, au-delà de leurs règles et syntaxes maternelles vers des êtres au parler inconnu d’eux l’instant d’avant. Et du reste n’en sommes nous pas tous un peu là les uns vis à vis des autres ?

De ces nations dont parle le Nouveau Testament, l’Apôtre2 précise ainsi les notes typiques de l’agir pneumatique divin : « amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, humilité et maîtrise de soi »3. Considérées comme telles, ces luisantes facettes du visage diaphane de l’Esprit phosphorent une paix venue d’en haut, identiquement parfaite à celle que Jésus a déposée sur ses apôtres en prononçant sur eux son longue discours d’adieu4. Comme on le voit, cette paix ne s’acquiert pas : elle se reçoit. Don du Verbe fait homme, elle est déjà cet Esprit caché sous les apparences d’une vie intérieure, c’est à dire d’un cœur unifié par son principe vital : le souffle de Dieu.

Mais aujourd’hui c’est un autre visage concomitant de l’Esprit qui nous est révélé, dans le tonnerre et le tremblement d’un espace anonyme, unissant une poignée d’hommes que Dieu s’est plu à rassembler autour d’une femme qui les relie au moins charnellement à son propre fils. Cette femme –Marie– est déjà factrice d’union par la prière qui a pris possession d’elle comme l’encens kavodique5 d’un Temple, devenu si lourd qu’il interdit tout autre action. Cette Femme attire l’Esprit comme un arc électrique [attire] la foudre.

Et ce visage de l’Esprit qui fond à la vitesse de la lumière consiste en une distribution de langues, comme cela a déjà été rapporté. L’Esprit toujours nouveau qui nous est distribué aujourd’hui est donc un esprit de parole pour annoncer encore et encore la Bonne Nouvelle du salut en Jésus-Christ. À ce sujet, les Actes des apôtres sont formels : « chacun de nous les entend dans son propre dialecte, sa langue maternelle. Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, de la province du Pont et de celle d’Asie, de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Égypte et des contrées de Libye proches de Cyrène, Romains de passage, Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes, tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu ».

Mais Marie, quelle langue a donc été sienne ? À cet instant tous sont trop entraînés hors d’eux mêmes afin d’annoncer la parole que l’Esprit leur donne de glossifier. Plus personne ne porte attention à la jeune-femme du fiat, rajeunie des paroles de son Fils qu’elle n’a jamais cessé de méditer. Mue par l’Esprit de son Fils, Marie n’a plus d’autre parole sur ses lèvres vierges que celle de l’Esprit qui la pousse doucement à ne plus pouvoir cantiler qu’un seul Nom : « Abba ! », c’est-à-dire : Père !

Frères et sœurs, cette révélation de l’Esprit de Dieu en ce jour d’onction est capitale : Jésus a fait de nous des fils et des filles de Dieu. L’Esprit vient aujourd’hui nous rappeler cette grâce inaliénable !

À cet Esprit qui habite en vous, ouvrez votre cœur, vos oreilles et livrez-lui votre langue !

Amen. Alléluia !

1 Néologisme formé à partir de glossa, la langue, en grec.

2 Saint Paul.

3 Ga 5, 22-23.

4 Jean 14, 27.

5 De « kavod », la gloire, en hébreu. Littéralement : ce qui est lourd.

+ frère Laurent de Trogoff, prieur administrateur

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