Homélie pour la fête de l'Ascension, 26 mai 2022
« Viri Galilaei, quid admiramini aspicientes in caelum ? » : Hommes de Galilée, pourquoi cet étonnement et ces regards tournés vers le ciel ?
Franchement ! les anges ont parfois de ces questions ! Au reste qu’ils fussent de Galilée ou d’ailleurs ces hommes n’y pouvaient mais. Il suffit de n’être pas un ange pour que s’animent de curiosité nos globes ophtalmiques dans la vision d’un homme devenu soudainement plus léger que l’air. Cette réalité aura sans doute échappé momentanément à nos agents angéliques de circulation, distrait par la merveille qu’ils contemplent eux aussi. Il faut dire qu’il y a de quoi distraire leur angélisme ! À cet instant en effet écrit dom Guéranger, « les hiérarchies angéliques s’apprêtent à recevoir le divin chef qui leur fut promis, et leurs princes sont attentifs aux portes, prêts à les lever quand le signal de l’arrivée du triomphateur va retentir »1. Les portiers du ciel sont en alerte, là où une poignée d’hommes se prosternent comme on le fait à l’élévation. C’est dire que le monde des esprits n’aperçoit pas la réalité de l’envolée du Christ comme nous, ni du même côté que nous, et pour cause.
Ces mêmes anges sont-ils simplement capables de s’arrêter au sens littéral de ce qui se présente aux mirettes ébahies des apôtres ? Ce premier sens de l’Écriture –tel que l’indiquent les Pères de l’Église– s’avère en effet n’être littéralement tel qu’à nos yeux, pauvres créatures incapables d’un regard instantané spirituel à deux dimensions, en relief pourrait-on dire. Les bons anges, eux, voient simultanément, dans la lumière que Dieu leur dispense, non seulement les sens allégorique et anagogique de l’événement qui se déroule en cette fête, mais encore le sens luminifère et définitif de cette humanité désormais triomphalement assise à la droite du Père, à la droite de notre Père, en la personne de Jésus. C’est dire que les anges ont la vue longue.
Dépourvus d’un tel toucher, la célestification de Jésus est vécue par les siens comme une séparation. Et elle l’est en effet, mais à la manière d’une promesse, comme les mêmes anges le leur annoncent aussitôt. La promesse d’un retour terrestre triomphal et définitif. Du reste Jésus le leur a dit avant d’être élevé en croix : « Quand je serai parti vous préparer une place, je reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi, afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi »2. Avec Jésus, notre humanité commence donc son éternel repos contemplatif dans le sein du Père. Il nous est bon de regarder déjà en espérance de ce côté-là. Cette entrée de tous ceux qui auront été jugé dignes d’une telle filiation éternelle nous met dans la joie. Ce temps intemporel mettra enfin un terme à toutes les caïnoses perpétrées dans le sang fratricide depuis qu’une histoire de sacrifice eut mal tourné dès les origines de l’humanité3.
Oui l’Ascension de notre Seigneur ne nous fait pas marcher dans une insouciance aérienne, insensibles aux douloureuses réalités de notre monde. Jésus lui-même a promis qu’il demeurait au milieu de nous, dans une sorte de cache-cache amoureux avec l’Esprit qui nous fera tout comprendre.
Cette fête nous ancre donc dans la certitude de notre avenir en Dieu, pourvu que nous fournissions notre mesure en amour. Elle vient nourrir notre foi et aussi notre espérance, alors que le feu de l’Esprit s’approche, lui que nous devons maintenant attendre autour de Marie notre Mère.
Amen
1 Année liturgique, le temps pascal 3.
2 Jean 14, 3.
3 Gn 4, 3-8.
+ frère Laurent de Trogoff, prieur administrateur