Homélie pour le 3e dimanche d’Avent, année A2
Le problème de Jean-Baptiste
Audio : il n’y en a pas (j’ai oublié de le faire).
Voici une semaine, Jean l’Immergeur est venu à notre rencontre. Il nous a montré férocement qu’il était l’heure de passer du temps des prophéties au temps du Messie. Aujourd’hui Jean ne bouge plus. Il ne le peut plus. C’est un peu comme ces vieilles gens qui n’ont plus la possibilité de se mouvoir : il leur faut envoyer des messagers pour faire leurs courses. Jean n’est pourtant pas âgé, mais il flirte déjà avec le terme de sa vie terrestre. Depuis qu’il ne bouge plus, il a du temps pour réfléchir. Si on lui avait demandé comment il voyait le temps qui s’écoulait depuis qu’il avait désigné le Messie, il n’aurait sans doute pas répondu tout rose. Un problème se pose à lui. Un problème sérieux. Un problème grave. Le prophète Isaïe, dont il s’est fait le chantre égosillé, avait prophétisé vengeance et revanche, Ben Sira le sage l’avait d’ailleurs rappelé dans l’éloge qu’il fit du Tishbite : « Lui qui entendit au Sinaï un reproche, à l’Horeb des décrets de vengeance, qui oignit des rois comme vengeurs, des prophètes pour lui succéder » (Sir 48, 7-8). Mais rien de tout cela n’arrive. Pour Jean, les yeux des aveugles qui se dessillaient, les oreilles des sourds qui s’ouvraient, les boiteux qui bondissaient comme un cerf, dont parlait Isaïe, tout cela était au second plan, voire même peut-être allégorique. Ce qui comptait, c’était que vint la vengeance, la revanche de Dieu. Le pyrophore s’inquiétait donc : Et si finalement il n’avait pas lancé le feu qu’Élie lui avait pourtant confié ? Alors une question tournait en boucle en lui : « me suis-je trompé ? Me suis-je trompé sur Jésus ? » Après tout Élie n’avait-il pas oint des prophètes pour lui succéder ? Jésus de Nazareth était-il un simple successeur ?
Pourtant dès avant sa naissance, Jean avait bien désigné le Messie. Il avait bien reçu de Celui qui l’avait envoyé une parole qui disait : « Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, c’est lui qui baptise dans l’Esprit Saint », avant d’ajouter : « Et moi j’ai vu et je témoigne que c’est Celui-ci l’Élu de Dieu » (Jn 1, 33-34). Jean a-t-il oublié ? A-t-il oublié tout ce que Dieu a déjà accompli dans sa propre vie ? A-t-il oublié que c’est Dieu qui l’a envoyé ? A-t-il enfin oublié qu’il fallait être mu par l’Esprit pour comprendre comment le Messie accomplirait les prophéties ? C’est le deuxième problème de Jean : il n’a pas su accueillir le Messie gratuitement. Et cela le plonge dans le doute. Ce doute qui est un rempart dramatique contre la rencontre de l’autre, contre la rencontre avec Dieu, contre la joie.
Mais le Messie ne tire pas vengeance de lui, au contraire. Alors que Jean demande une confirmation à Jésus sur son identité, c’est Jésus qui vient confirmer l’authenticité du témoignage de Jean. Et il le fait de deux manières qui répondent aux deux problèmes de Jean. Tout d’abord il invite ses émissaires à lui rapporter ce qu’ils ont vu : l’accomplissement des prophéties annoncées par Isaïe sur la libération. Non pas une libération politique et temporelle, mais une libération définitive annonciatrice de la venue du royaume de Dieu. Jésus invite Jean à entrer dans la vraie joie, celle qui n’est pas le fruit empoisonné de la vengeance, mais celle de la victoire de la miséricorde et du pardon. La victoire de Celui qui répare l’homme déchu ! Jésus est Celui qui remporte la victoire définitive sur le mal. Il annonce par les guérisons des corps qu’il opère, la victoire de la Vie sur la mort (Il est le Nikanor, le porteur de Victoire). Telle est la source de la joie. Car « la joie annonce toujours que la vie a réussi » (Bergson, l’énergie spirituelle).
Et puis Jésus vient aussi réparer le doute que Jean porte en son sein comme un feu qui le dévore : Jésus confirme que Jean est bien plus qu’un prophète ! De qui d’autre Jésus dira-t-il pareille parole ? Longtemps il parle de lui, de sa vie guenilleuse et désertique. Mais il achève son discours en appelant le Baptiste par son nom pour affirmer de lui qu’il ne s’est levé personne de plus grand que Jean le Baptiste. Notons cependant que Jésus a laissé les envoyés du Baptiste repartir avant de proclamer cela. Et ces derniers n’auront pas pu lui rapporter ces paroles-là de la part du Messie. Peut-être Jésus a-t-il voulu laisser au Baptiste la joie de croire, la joie de la foi, au fond de sa prison mortifère ?
En parcourant cet évangile, il ne vous aura sans doute pas échappé que le double problème de Jean nous concerne tous. Passés les premiers enthousiasmes (et parfois même les seconds) nous devons nous aussi faire face à la foi afin de rencontrer en vérité le Messie et surtout de Le laisser nous rencontrer pour pouvoir entrer dans le véritable enthousiasme (en thous iazo). Jacques nous a rappelé dans la deuxième lecture que c’était le fruit de la patience. Mais c’est aussi le fruit de la charité, c’est à dire de l’Amour qui vient de Dieu gratuitement, qui nous traverse gratuitement et qui nous emporte gratuitement. Peut-être est-ce ce qui manquait à Jean finalement : accueillir le Messie, gratuitement. C’est ainsi que l’a accueilli la petite Marie : dans cette foi qui fut aussi sa joie.
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