Homélie pour le dimanche du Christ Roi de l’Univers

Abbaye Notre-Dame des Neiges, 23 novembre 2025

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Il est parfois fascinant de penser que nos posons les yeux sur les mêmes réalités que ceux qui nous ont précédés, mais que ces réalités ne nous rejoignent pourtant pas avec la même force, le même pouvoir, la même douceur qu’elles ont rejoint ces prédécesseurs. Saint Charles de Foucauld est souvent venu adorer à la basilique du Sacré Cœur. A-t-il perçu le secret de l’accomplissement de ce que Jésus attend ? Je vous propose, à l’occasion de la fête du Christ Roi de l’Univers, d’entrer dans cette même basilique, humblement, avec nos pauvres yeux, si souvent aveugles à cette lumière déifique (deificum lumen, écrit saint Benoît) qui fait pourtant les saints.

En entrant dans cette basilique majestueuse, c’est peut-être le plafond qui attire tout d’abord notre attention. Au centre le Christ, d’une stature qui n’a presque rien à envier à Celui du plafond de la chapelle Sixtine à Rome, sinon l’art michaelien du peintre et la finesse de son pinceau. Un peu moins menaçant peut-être, il est revêtu d’un ample vêtement blanc. Il étend de chaque côté des bras puissants nettement surélevés au-dessus de l’horizon, en forme de « V ». Sans être méprisant, on peut dire avec certitude « qu’il en impose ». À sa droite, d’une taille légèrement moindre, une femme. Marguerite-Marie, dont le regard nous indique qu’elle est « un peu ailleurs », dans une contemplation ineffable ; les bras ouverts elle aussi, mais vers le bas et paumes ouvertes, en signe d’accueil, humblement. À la gauche du Christ, plus petit encore d’une tête environ, l’archange Michel, à l’étendard éponyme. Sous cet ange questionneur, une autre femme : Jeanne d’Arc un genou en terre. De nouveau à droite, bien plus petit encore et à genoux, un pape « tiaré » fait un peu figure de nain, offrant cependant au Christ géant, le monde sous forme d’un globe. Ce mélange de puissances entremêlées et inversées laisse étonné le spectateur : « où cela conduit-il donc », se demande-t-il ?

À cet instant la découverte du plafond est interrompue par le chuchotement interminables des touristes, bruissement incessant qu’on avait d’abord cru mécanique et passager. D’un regard myope le plus souvent horizontal, ces touristes tournent, cherchant en même temps sur leur smartphone des informations qu’ils n’ont pas même idée de découvrir par leurs propres yeux. C’est alors que notre contemplation revient vers le Christ qui a mystérieusement répondu à la question posée il y a un instant et nous invite à baisser les yeux sur une réalité que presque personne ne semble avoir remarquée ni prise au sérieux. Un ostensoir en pleine lumière : Jésus est là ! Une petite hostie ronde, parfaitement muette et immobile regarde Elle aussi le spectacle de ces créatures qui ne savent pas qu’elles sont en présence de Celui qui les a créées afin qu’elles puissent vivre avec Lui, éternellement, un jour. Il s’est fait tout petit, tout insignifiant au point de ne pas craindre de n’être rejoint que des quelques regards enamourés d’une poignée de spécimen étonnants qu’on appelle adorateurs. Le Tout-Puissant semble volontairement impuissant. Est-ce là le mystère du Christ Roi ?

Un peu comme ces badauds autour de la Croix de Jésus dont parlait l’évangile tout à l’heure, et qui avaient suivi le mouvement, la foule tournante se demande sans doute, mais sans oser se l’avouer, ce qui peut bien aimanter sur place ces curieux spécimen. La plupart a bien lu les panneaux : « for adoration only ». Mais la majorité se demande comment on peut adorer autre chose que la glace à la fraise, les selfies ou bien encore les voyages. Si seulement ils savaient ! Si seulement ils savaient le don de Dieu ! Si seulement quelqu’un leur avait dit ces simples mots : « Jésus est là, et Il t’attend » ! S’ils savaient que ce Dieu qui les a créés sans leur demander leur avis, désire ardemment devenir le Roi de leur cœur, mais seulement avec leur consentement. Non pas un roi puissant comme le terrassant Christ du plafond, mais un Roi d’Amour, doux et humble. Si seulement leur curiosité se laissait aller à dire quelques mots intérieurs vers cet objet drapé de lumière. Quelque chose comme ces paroles de Zoé dans le récent film sur le Sacré Cœur : « Je ne savais pas ce que c’était mais on m’explique que Jésus est là. Je ne vois rien, enfin je vois juste un truc rond au fond de l’église, c’est tout… À ce moment-là j’en ai profité pour dire à Jésus : Jésus, ça fait un an que je vais à la messe sans rien comprendre. Alors si tu existes, je veux que ça change ma vie. Et là, – ajoute Zoé – c’est assez mystérieux, car en moi, mais surtout à côté de moi, je sens qu’il y a une présence, et j’ai su que c’était Jésus. Mon cœur savait que Jésus était là, à côté de moi ».

« Voici que je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui », rapporte le livre de l’Apocalypse (3, 20). N’est-ce pas là tout le mystère du Christ Roi qui ne désire qu’un signe de notre part, qu’un regard de notre part, qu’un mot de notre cœur pauvre, pour venir enfin vivre en nous ? N’est-ce pas ce mystère qui a rejoint Charles de Foucauld, et qui l’a même emporté jusqu’au désert ? « Je m’efforce d’amener les hommes au Christ, non pas par des paroles, mais par la présence du Saint Sacrement, l’offrande du divin sacrifice, la prière, la pénitence, la charité, une charité fraternelle et universelle », écrira-t-il un jour. N’est-ce pas aussi la définition d’une vie monastique, tout simplement ?

Puisse le Christ régner dans nos cœurs si profondément, si réellement, si vivement, qu’il nous soit donné de « donner envie de Dieu » aux autres !


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