Homélie pour le dimanche de la Sainte Famille
À peine Dieu a-t-il posé le pied sur terre, aussitôt il faut partir ! Pour un regard tout humain il y a de quoi s’interroger. Si c’est ainsi que Dieu traite son propre Fils fait homme, comment va-t-Il traiter les créatures pétries d’ingratitudes que nous sommes ? Ne vaut-il pas mieux prendre les choses en mains ? Ainsi parle l’insensé dans son cœur, dit le psalmiste. En vérité ce que nous enseigne l’évangile de ce jour, c’est avant tout ceci : la seule folie c’est de ne pas s’en remettre à Dieu pour tout.
C’est déjà ce que nous enseigne la première lecture qui nous révèle le secret des relations au sein de la famille. C’est justice d’honorer père et mère. Paul va plus avant encore dans la deuxième lecture, et il entre dans le détail des relations fraternelles, même au delà de la famille. Regardée à l’envers, si l’on peut dire, la négation de toutes ces sages recommandations est le levain assuré de la guerre. Car la guerre, la vraie guerre, commence au sein de la famille, et c’est donc là d’abord qu’il faut la résorber. Sur ce sujet le pape François écrivait dans son dernier livre « Espère », des lignes saisissantes après être revenu à plusieurs reprises sur la folie de la guerre. En amont de ce triste désastre, il évoque l’importance du pardon :
« l’air manque lorsque l’on ne se demande pas pardon (…) Si nous ne nous demandons pas pardon, nous ne serons pas pardonnés ; si nous ne nous efforçons pas d’aimer, nous ne serons pas aimés (…) Jésus introduit dans les rapports humains la force du pardon. Dans la vie, tout ne se résout pas avec la justice. Là où il faut endiguer le mal, quelqu’un doit aimer plus que ce qui est dû, pour commencer une histoire de grâce »1.
Aimer plus, dépasser le mal. Le véritable motif du pardon est divin. Voici une petite histoire – un apophtegme – des pères du désert qui aide à le mieux comprendre. « un jeune moine avait eu un différent avec l’un de ses frères et ne voulait pas lui pardonner. Il alla voir un ancien et lui exposa l’affaire. L’ancien lui dit : ‟Prions ensemble mon frère”. Et il commença le Notre Père. Ayant passé la demande du pain quotidien, il poursuivit ainsi : ‟Et ne nous pardonne pas nos offenses, comme nous non plus nous ne pardonnons pas à ceux qui nous ont offensé”. Entendant cela, le jeune moine fit une métanie et courut pardonner à son frère ». Voilà la vérité sur la source du pardon : on ne pardonne pas parce qu’on est devenu quelqu’un de bien, ou parce que l’on a oublié, ou encore parce qu’on relativise les choses. Non. On pardonne parce que Dieu pardonne tout, toujours, dès qu’on le Lui demande d’un cœur contrit. Le jour où vous portez en vous une forte rancune, essayez de dire le Pater « à l’envers » : je vous promets que ça fait un drôle d’effet…
Comme je le disais en ouvrant cette homélie, il faut donc toujours s’en remettre à Dieu, y compris pour le pardon du prochain. Mais dans la sainte Famille que nous fêtons aujourd’hui, quelle place y avait-il pour le pardon ? En vérité, le pardon est une conséquence de l’amour. Dieu nous pardonne tout parce qu’Il nous aime totalement. Et lorsque l’amour prend toute la place, le mal n’en trouve pas où s’installer. C’est sans doute ce qui est advenu à Joseph et Marie. L’amour a toujours pris le dessus dans leur famille. Cet amour est celui de Dieu, car la véritable amour est toujours trinitaire. Aussi en vivant de cet amour divin l’un pour l’autre, Marie et Joseph sont tournés vers Dieu ce qui leur donne une affinité presque naturelle avec le monde angélique. C’est l’occasion pour nous de prendre un peu plus conscience du rôle des anges dans nos vies. Le rôle de notre ange gardien. Cela peut rendre service de donner un prénom à son ange gardien : ça permet de l’appeler plus souvent ! En vérité cela doit devenir une habitude. Cet être est notre plus immédiat prochain dans l’ordre de la création. Il faut donc nous entretenir avec lui ! Il est tout à fait vraisemblable que ce soit cet ange gardien de Joseph qui le rendit attentif à la voix de l’ange du Seigneur, dont parle l’évangile à trois reprises. À moins que cet ange du Seigneur ne fut tout simplement le propre ange gardien de Joseph : qui sait ? Car après tout nos anges gardiens sont tous des anges du Seigneur !
Pour refermer cette homélie un peu trop longue, je voudrais attirer votre attention sur la réalisation de la dernière prophétie mentionnée par Matthieu : « Il sera appelé Nazaréen ». Il serait trop long ici de donner des explications complexes dans des langues qui le sont autant. Mais il est bon de connaître le résultat de l’étude que fit le rabbin Eugenio Zolli sur ce titre « le Nazaréen ». Grand Rabbin de Rome, il produisit en 1939 un ouvrage intitulé « Il Nazareno ». Après avoir étudié toutes les hypothèses avancées sur le sens de ce mot, il finit par proposé quelque chose de toute à fait fascinant. Selon lui, le plus probable est de faire dériver le mot Nazaréen du verbe syriaque nzar qui signifie : « murmurer, cantiller ». Les docteurs à l’époque de Jésus ne disaient pas leur enseignement, mais ils le chantaient, ils le cantillaient. Et l’évangile rapporte que personne ne cantillait la parole comme Jésus2. Lorsqu’il donnait un enseignement, la mélodie était si juste, si belle, si parfaite qu’elle touchait immédiatement l’auditoire au cœur, qui la mémorisait presque aussitôt.
Alors puisque cette parole de Jésus bouleversait tant les cœurs de ceux qui venaient l’écouter, ne devenons-nous pas à Dieu notre Père cet amour filial, qui nous donnera de vivre de sa Parole faite chair, de vivre par elle et en elle, dépendant de Dieu en toute chose pour son amour et pour le nôtre assurément, et pour l’amour de notre prochain ? Que nos anges gardiens nous y aident, avec la Mère de Dieu, Elle qui apprit à Jésus à parler et peut-être aussi à cantiller.
1) François Pape, Espère, Paris, Albin Michel, 2025, pp. 72‑73.
2) C’est aussi le 5e sens du verbe grec Laleo.
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