Homélie pour le dimanche dans l'octave de Pâques, 11 avril 2021

« Bien-aimés, celui qui croit que Jésus est le Christ, celui-là est né de Dieu » (1 Jn 5, 1)

La foi est au cœur des trois lectures de ce jour. Dix fois de suite nous avons entendu les mots « foi », « croire » ou « croyant », culminant en cette finale de l’évangile : « …pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom ». « Naitre » ; « Avoir la vie » : la foi, et tout spécialement la foi en la résurrection du Christ, est à la source de toute vie chrétienne, c’est elle qui donne la vie à nos âmes, à nos communautés, à l’Église entière qui n’existe que par et en vue de la foi, « de la foi à la foi » (Rm 1, 17).

La foi en Jésus ressuscité fait entrer avec lui dans une vie nouvelle pour Dieu : vivere Deo. « Il est mort pour tous, afin que les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour lui qui est mort et ressuscité pour eux » (2 Co 5, 15). Or, cette vie toute divine introduit une rupture par rapport à la vie naturelle reçue en ce monde : « Ainsi donc, désormais nous ne connaissons personne selon la chair, poursuit S. Paul. Même si nous avons connu le Christ selon la chair, maintenant ce n’est plus ainsi que nous le connaissons » (2 Co 5, 16). C’est pourquoi le renouveau de la vie de l’Église – comme de chacune de nos communautés – ne peut venir que d’un renouveau de la foi, et non d’abord de l’utilisation de techniques humaines, celles du monde économique ou politique, même si elles peuvent parfois aider, car elles comportent toujours le danger de mondaniser l’Église. Le pape François met ainsi en garde contre le fait de croire que c’est en mettant plus de démocratie dans l’Église, comme le veut l’actuel synode allemand, que l’on renouvellera la force du témoignage chrétien. Non, dit-il : ce qui renouvelle l’Église, c’est de se mettre ensemble à l’écoute de l’Esprit Saint qui, comme dans la première communauté chrétienne de Jérusalem, réalise la communion des croyants dans l’unité de la confession de foi.

Pour mettre plus de vie dans la foi, il faut donc d’abord mettre la foi dans la vie ! Mais comment grandir dans la foi ? Le récit de l’évangile de ce jour nous apporte plusieurs réponses.

La première réponse est l’écoute du témoignage apostolique. Thomas, dans un premier temps, n’a pas donné sa foi au témoignage ses frères les apôtres : « nous avons vu le Seigneur ! ». Il voulait voir de ses yeux et non croire à l’annonce. Or, S. Paul nous dit : la foi vient de ce que l’on entend, Fides ex auditu (Rm 10, 17). Pour nous, cela veut dire écouter le témoignage des apôtres transmis dans les Évangiles, fréquenter les Écritures, nous enraciner toujours plus en elles, les approfondir par l’enseignement donné et écouté en Église. Il ne faut pas avoir peur des moyens relativement modestes qui peuvent être les nôtres. Que l’on pense par exemple à Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus à qui, au noviciat, était interdit l’accès à l’Ancien Testament. Mais elle avait sur elle les Évangiles, glanait dans le bréviaire ou ailleurs tout ce qu’elle pouvait du reste de la Bible et y faisait véritablement sa demeure. Nous nourrir assidument de la Parole de Dieu, voilà la première condition de la croissance de la foi ; per ducatum Evangelii, dit S. Benoît.

La seconde condition pour la croissance de la foi est une adhésion sans cesse renouvelée, affermie. Nous sommes habitués à l’attitude cartésienne qui prévaut dans la modernité : rester dans le doute méthodique est, pour notre temps, la meilleure preuve d’ouverture et de liberté d’esprit, tandis qu’une attitude de certitude sera facilement taxée de dogmatisme rigide. On entend parfois cela aussi dans l’Église, et la figure de S. Thomas, lui qui ne s’en est pas facilement laissé compter, peut être invoquée pour justifier une certaine distanciation critique face aux dogmes fondamentaux de la foi. Or, face au doute de Thomas, le Ressuscité lui dit : « Cesse d’être incrédule, sois croyant » ; cette parole, divine, réalise ce qu’elle dit, fait le don de ce qu’elle commande : Thomas aussitôt confesse la divinité de son Seigneur ressuscité : « Mon Seigneur et mon Dieu ! ». Loin du doute entretenu volontairement, la foi est adhésion dans la fermeté, qui est un don de Dieu qui permet le dépassement du doute inévitable.

Pour autant, cette certitude de la foi n’est pas de l’ordre de l’évidence sensible. Elle lui est même en quelque-sorte diamétralement opposée. S. Jean de la Croix a exprimé cela de façon radicale : rien de créé en ce monde, qui peut tomber sous l’évidence de nos sens ou de notre intelligence n’est « moyen proportionné pour aller à Dieu ». Seule la foi, qui vient de Dieu, est ce moyen. C’est la raison pour laquelle, explique-t-il, si Jésus se montre aux disciples, afin de leur faire connaître la réalité de sa résurrection, c’est, aussitôt après, pour inviter à dépasser cette perception par les sens. Il procède avec Tomas comme avec Marie-Madeleine : « ne me retient pas », « heureux ceux qui croient sans avoir vu ». « Même si nous avons connu le Christ selon la chair, maintenant ce n’est plus ainsi que nous le connaissons » (2 Co 5, 16). Nous touchons ici à une troisième condition de la croissance de la foi : accepter sa purification progressive.

La béatitude proclamée par Jésus pour ceux qui croient sans avoir vu est en quelque-sorte, la clef du progrès spirituel. Moins l’adhésion ferme de la foi s’appuiera sur des évidences, non seulement sensibles, mais même intellectuelles ou affectives, plus elle ira en se purifiant pour ne s’appuyer finalement non sur soi-même, mais sur Dieu seul. C’est ce que nous disons dans l’Acte de foi : je crois parce que Dieu ne peux ni se tromper ni nous tromper, je crois parce que Dieu est Dieu, tout simplement. C’est ce que les saints appellent la nuit de la foi, une nuit par laquelle Dieu veut s’approcher de nous toujours davantage, nous faire entrer dans une relation personnelle d’amour avec lui. Ste Thérèse de Lisieux, elle qui avait écrit le Credo avec son sang dans la nuit radicale de sa foi, disait : « J’ai plus désiré ne pas voir le bon Dieu et les Saints et rester dans la nuit de la foi que d’autres désirent voir et comprendre ». Pourquoi ? Parce qu’elle savait que la vision de Dieu était pour le Ciel, et que, en vivant son grand désir de Dieu sur cette terre dans la foi nue, elle en faisait une aventure d’amour qui était féconde pour toute l’Église :

                 Rappelle-toi qu’au jour de ta victoire       
                 Tu nous disais : « Celui qui n’a pas vu     
                 « Le Fils de Dieu tout rayonnant de gloire           
                 « Il est heureux, si quand-même il a cru ! »          
                 Dans l’ombre de la Foi, je t’aime et je t’adore     
                 O Jésus ! pour te voir, j’attends en paix l’aurore  (PN 24, 27)

La foi est donc véritablement notre façon de participer dès ici-bas à la vie divine. Consentant à ne pas voir, à ne pas mettre la main sur Dieu, elle attend tout de lui qui veut nous combler de l’infini de son amour. La croissance de la foi est donc aussi croissance de l’amour, avec Dieu et aussi entre nous : la charité nait de la foi. Or, cet amour a une caractéristique essentielle : il est miséricordieux. Réunis au Cénacle, les disciples, Pierre en tête, ne peuvent qu’être pénétrés de leur faiblesse, après qu’ils ont abandonnés leur maître durant la Passion. En S. Jean, la première action du Ressuscité est de donner aux Apôtres la paix de son pardon et de les instituer à leur tour ministres de sa miséricorde : « Recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ». Les apôtres sont alors vraiment nés à une vie nouvelle dans l’Esprit Saint dans cette expérience de l’amour miséricordieux de leur Seigneur et sauveur.

Nous voyons décidément comment le renouveau de l’Église ne peut progresser par aucun activisme ou volontarisme, mais plutôt en restant comme ces nourrissons chantés dans l’Introït : quasi modo geniti infantes, en offrant à Dieu de notre faiblesse (au moins égale à celle des apôtres !) à l’immensité de la miséricorde qui veut nous combler d’amour, justement parce que nous sommes pauvres et petits. « Il ne s’agit pas de l’homme qui veut ou qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde » (Rm 9, 16). C’est la grande découverte de Ste Thérèse et de sa « petite voie » : « Si quelqu’un est tout petit, qu’il vienne à moi » (Pr 9, 4). « Alors je suis venue, devinant que j’avais trouvé ce que je cherchais » (Ms C, 3r°). Elle dira même : « plus on est faible, sans désirs ni vertus… plus on est propre aux opérations de cet amour consumant et transformant » (L 197). Puisse cette confiante audace fonder nos vies personnelles et communautaires !

Seigneur Jésus, toi qui es entré corporellement parmi tes disciples, toutes portes fermées, fais de nos âmes et de nos communautés comme un Cénacle clos éloigné des soucis et peines du monde, mais fervent dans la foi et la prière, afin que tu puisses y entrer spirituellement d’une manière que toi seul connaît, afin de nous faire à nouveau, dans cette Eucharistie et chaque jour, le don des fleuves de ta paix (cf. Is 66, 12) et de ton amour miséricordieux qui donne la vie. Amen.
(Cf. S. Jean de la Croix, MC, III, 3).

frère François d’Assise +

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