Homélie pour le 18e dimanche du temps ordinaire

Nous le savons, l’argent ne fait pas le bonheur, mais nous pensons secrètement : il y contribue. Nous désirons avoir plus pour être plus heureux. Que nous dit Jésus dans l’évangile d’aujourd’hui ?


D’abord, nous voyons Jésus refuser de trancher une question d’héritage : il ne veut pas se mêler de régler une affaire de gros sous ; il n’est pas un rabbin expert dans la loi, ni un juge de paix. Sa mission est d’un autre ordre. « Mon royaume n’est pas de ce monde », dira-t-il pour refuser de faire un choix politique.

Cependant le chrétien, sans être du monde est dans le monde ; quel sera donc l’usage qu’il peut faire de l’argent ? Jésus le dit par une parabole : il campe devant nos yeux un riche propriétaire dont les terres ont beaucoup rapporté : nous le voyons échafauder ses projets ; il va construire d’immenses greniers pour y mettre en réserve ses récoltes pour de longues années, alors il se dira à lui-même : « Repose-toi, mange, bois, fais bombance ! ». La belle vie, en vérité ! Mais ses rêves d’or sont anéantis par la voix terrible du Maître de l’avenir : « Insensé ! Cette nuit même on te redemande ta vie ; et ce que tu auras mis de côté, qui l’aura ? »

La folie de ce riche, ce n’est pas d’avoir organisé l’avenir ; il a raison d’établir un programme. Nos sociétés riches ont toujours le devoir de bien administrer les biens et de prévoir un plan futur pour nourrir les milliards d’hommes de l’avenir. Le riche n’a pas mal fait ses calculs, mais son tort fut de s’imaginer que sa vie dépendait de sa fortune, que ses richesses étaient pour lui une assurance-vie tous risques.

L’argent l’a aveuglé : « la vie d’un homme, fût-il dans l’abondance, ne dépend pas de ses richesses », dit Jésus, reprenant l’enseignement des sages d’Israël, spécialement de l’Ecclésiaste qui proclamait dans la 1re lecture : « Vanité des vanités, tout est vanité ! Un homme s’est donné de la peine, il a réussi, et voilà qu’il doit laisser son bien… Cela aussi est vanité ». La richesse s’évanouit comme une buée qui sort de la bouche d’un homme, elle éclate comme une bulle de savon. Et le Paume 48 : « Le fou et l’insensé périssent, laissant à d’autres leur fortune… Dans la mort s’effaceront leur visage. L’homme comblé qui n’est pas clairvoyant ressemble au bétail qu’on abat ».


Le tort du frère lésé dans son héritage et du paysan calculateur fut de ne penser qu’à eux-mêmes : la cupidité, cette avidité qui est une idolâtrie, nous a dit saint Paul dans la 2e lecture, rend aveugle.

Voici une anecdote juive : « Un homme dont la richesse avait endurci le cœur vint trouver un sage rabbi. Le rabbi lui dit : « Regarde par la fenêtre et dis-moi ce que tu vois dans la rue ». – « Je vois des hommes qui vont et viennent ». Ensuite, il lui tendit un miroir : « Regarde dans ce miroir et dis-moi ce que tu vois » – « Je ne vois que moi-même ». – « Et tu ne vois plus les autres ? Songe que la fenêtre et le miroir sont tous deux de verre ; mais ce miroir ayant été recouvert d’argent, tu n’y vois plus que toi seul alors que tu vois les autres à travers la vitre claire de la fenêtre. Je déplore d’avoir à te comparer à ces deux espèces de verre. Pauvre, tu voyais les autres et en avais compassion ; couvert d’argent, tu ne vois plus que toi-même. Sans doute vaut-il mieux gratter le revêtement d’argent pour qu’à nouveau tu puisses voir les autres ».

Le riche insensé, c’est tout homme qui jouit égoïstement de ce qu’il a et qui ne compte que sur lui-même pour réussir sa vie. Demain, c’est la faillite, la mort. Le seul trésor qui ne fait pas défaut à l’homme, même après sa mort, c’est celui qu’il partage avec ses frères. Étrange économie divine ! Partager ses biens avec les pauvres c’est se préparer des amis et des atouts pour l’au-delà. Le royaume de Dieu ne se construit pas avec l’argent, mais avec l’amour : « Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur ». L’homme vaut plus par ce qu’il est que par ce qu’il a, affirme le concile Vatican II (GS 35), à la suite de saint Paul VI : « Il ne suffit pas que l’homme grandisse dans ce qu’il a ; il faut qu’il grandisse dans ce qu’il est… c’est de ce supplément d’âme dont le grand corps de l’humanité a présentement besoin davantage ».


Choisissant de tout perdre, Thérèse de Lisieux s’écriait, joyeuse et libre : « Je choisis tout ». Car tout est rien et rien est tout.


« Seigneur, tu es ma part d’héritage et ma coupe ; c’est toi qui garantis mon lot… tu fais mes délices… Tu ne peux abandonner mon âme aux enfers, ni laisser ton ami voir la corruption… devant ta face, plénitude de joie, à ta droite, délices éternelles » (Psaume 15).

frère Jean-Gabriel Gelineau +

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