Homélie pour le premier dimanche de Carême, 21 février 2021

À son baptême, Jésus vit les cieux se déchirer et l’Esprit descendre sur lui comme une colombe, et une voix venait des cieux : « Tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie ». « Aussitôt, l’Esprit pousse Jésus au désert, et dans le désert il resta quarante jour » dans l’intimité d’un cœur à cœur avec son Père ; il parle familièrement avec Dieu, comme Adam, dans le paradis terrestre, avant sa chute. Comme le premier Adam, Jésus fut « tenté par Satan ». L’évangéliste saint Marc ne dit rien de cette épreuve ; mais on peut supposer que Jésus dut refuser un messianisme triomphant. Il est victorieux des puissances du mal, puisqu’« il vivait parmi les bêtes sauvages », tous ces animaux soumis à Adam qui leur avait donné un nom. Les fauves apprivoisés illustrent par anticipation l’harmonie de l’univers pacifié par le Christ. « Et les anges le servaient », eux qui avaient expulsé de l’Éden l’homme révolté contre Dieu (Gn 3,23). Le psalmiste l’assure : « Dieu a pour toi donné l’ordre à ses anges de te garder en toutes ses voies » (Ps 90,11). En Jésus, la paix est faite entre le ciel et la terre pour tous les hommes.


Et Jésus proclame à tous « la Bonne Nouvelle de Dieu ». Il disait : « Les temps sont accomplis, le règne de Dieu est tout proche ». « Aujourd’hui, si vous écoutez sa voix, ne fermez pas votre cœur comme au jour de tentation dans le désert » (Ps 94,4). Moïse était resté quarante jours et quarante nuits sur le Sinaï avant de recevoir les dix Paroles. À tous ceux qui accueillent sa Parole, Jésus rouvre le paradis. « Convertissez-vous et croyez » : la foi chrétienne est plus que la confiance en Dieu ; elle est certitude que le salut est donné à tout homme en Jésus-Christ. Telle est la Bonne Nouvelle.

Noé, dont parle la 1re lecture, est une figure de Jésus. Le nom de Noé signifie la consolation de Dieu dans un monde perverti, ou mieux celui sur qui repose l’Esprit de Dieu, car « Noé avait trouvé grâce aux yeux du Seigneur » (Gn 6,8). « Grâce à lui un reste (autre sens du mot Noé) fut épargné sur la terre, lorsque le déluge arriva» (Si 44,17). Dans l’arche construite sur l’ordre de Dieu, Noé fait entrer un spécimen de tous les animaux, et le déluge vient, pendant quarante jours, anéantir les pécheurs. Alors Dieu se souvient de Noé, et il assèche la terre. La colombe envoyée, revient avec un rameau d’olivier, signe de la paix donnée à la terre. Et Dieu fait une alliance avec toutes les créatures, tout ce qui est sorti de l’arche pour repeupler la terre. Le signe de l’alliance est l’arc-en-ciel : le même mot en français comme en hébreu désigne aussi l’arc de tir servant à la guerre : Dieu suspend son arme dans le ciel, il désarme sa colère ; chaque fois que paraît l’arc-en-ciel, c’est le souvenir que Dieu est l’ami des hommes. C’est « l’arc du sourire ». Le sourire de Dieu. L’alliance est irrévocable et cosmique. Elle s’étend à toute créature. Par trois fois, il est déclaré que le pacte est conclu non seulement avec l’homme mais aussi avec tout être vivant. Les animaux sont solidaires des hommes aussi bien dans les maux qui les frappent que dans la bénédiction.

Le salut de Noé est le type de celui des chrétiens, dit saint Pierre dans la 2e lecture : de même que cet homme juste et sa famille furent arrachés par une intervention divine à la crue du péché et des eaux, ainsi les chrétiens sont sauvés, par le baptême, du royaume de la mort. D’où vient cette efficacité du baptême ? De la mort et de la résurrection du Christ. « En effet, le Christ est mort pour les péchés »… et la véritable re-création commence avec la résurrection du Christ : une nouvelle humanité naît dans les eaux du baptême. Dans l’arche de Noé, « furent sauvées à travers l’eau un petit nombre de personnes, huit en tout (Noé, sa femme, leurs trois fils et leurs épouses). C’était une figure du baptême qui vous sauve maintenant ». Le chrétien entre dans l’arche qu’est l’Église par le baptême, donné le dimanche de Pâques, qui est le 8e jour par excellence, dans le baptistère qui avait autrefois une forme octogonale. Le 8e jour est « la figure de la résurrection du Christ qui est monté au ciel, au-dessus des anges ». Par le baptême, nous sommes enracinés dans le Christ (Rm 6,5).


Frères et sœurs, ce carême, ce temps de quarante jours nous prépare au mystère de Pâques où nous allons renouveler la foi de notre baptême. Est-ce pour nous une nouvelle création ? Invités à vivre avec Jésus au désert nous sommes placés face à nous-mêmes dans le silence du désert. Nous y entendons la voix de notre cœur, avec ses affolements, ses peurs et ses amours. La voix de notre esprit nous y harcèle de ses doutes lancinants. Saurons-nous écouter aussi la voix de Dieu ?

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« Le règne de Dieu est tout proche ». Dieu règne-t-il en moi ? L’évangélisation de ma sensibilité est toujours à recommencer, tant il y a des zones d’ombre qui m’encerclent. Les émotions, les sentiments, les passions, peuvent être autant de bêtes sauvages en mon intérieur. Nous ne pouvons pas les exterminer, ni les dominer absolument, du moins nous avons sur eux un certain pouvoir de les apprivoiser, de les domestiquer, de les maintenir dans leur ordre. La paix vient quand tout est à sa place, et que le cœur est unifié pour aimer Dieu seul et le prochain en Dieu.


« Convertissez-vous ». « Carêmisez-vous » : se carêmiser, ce n’est pas simplement faire carême. Faire carême, c’est accomplir un certain nombre de pratiques de pénitence, jeûner, prier, faire l’aumône. Ces actes sont bons, car ils sont faits pour l’amour de Dieu. Mais se carêmiser, c’est plus profond : c’est se rendre disponible à l’action de l’Esprit pour vivre du Christ. Saint Paul disait : « Ce n’est plus moi qui vit, c’est le Christ qui vit en moi ». C’est le Christ qui prie en moi, qui aime en moi, qui fait la charité ou les plus humbles tâches. Tout est carêmisé quand tout est divinisé, grâce à l’alliance nouvelle et éternelle, instaurée par le sacrifice rédempteur du Christ dont l’alliance avec Noé était la figure. Tout vient de Dieu et va à Dieu. Au milieu des nuages, sachons discerner l’arc-en-ciel, arche grandiose de la tendresse du Père, figure haute en couleurs du sein d’amour qui nous attend. Amen.

frère Jean-Gabriel Gelineau +

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