Homélies pour le Dimanche des Rameaux, le Jeudi Saint et le Vendredi Saint
Homélie pour le dimanche des Rameaux, 13 avril 2025
Un royaume de paix
Gloria, laus et honor tibi sit. « Gloire, louange et honneur à toi, ô Christ, Roi, Rédempteur ! » C’est par ces mots que nous avons acclamé le Seigneur Jésus au début de cette messe, durant la procession des rameaux. Nous nous sommes unis par notre chant à l’allégresse des disciples qui, selon le récit de saint Luc, se sont mis à « louer Dieu à pleine voix pour tous les miracles qu’ils avaient vus ». Toutes ces foules ont suivi Jésus depuis la Galilée. Elles ont vu les innombrables merveilles qu’il a accomplies au cours de sa route vers Jérusalem, et elles lui rendent témoignage à travers un hommage improvisé, dont les branchages que nous avons bénis tout à l’heure sont le signe et l’actualisation.
Pourtant, vous l’avez remarqué, dans le récit de Luc que nous avons entendu cette année, il n’est point question de rameaux. À la différence de ses pairs, cet évangéliste ne mentionne pas les branchages coupés dans la campagne. Il concentre toute son attention sur les manteaux que les disciples disposent sur le chemin. Cette marque de respect rappelle un geste accompli plus de huit siècles auparavant en faveur d’un homme d’Israël appelé Jéhu. Alors que ce dernier venait de recevoir l’onction, selon l’ordre du Seigneur, pour devenir roi sur Israël, le texte sacré nous rapporte que ses compagnons « se hâtèrent de prendre chacun son vêtement et les étendirent sous ses pieds en haut des marches. Puis ils sonnèrent du cor et dirent : « Jéhu est roi ! » » (2 R 9, 13).
En disposant leurs manteaux sur le chemin où doit passer Jésus, les disciples proclament sa royauté. Saint Luc est d’ailleurs le seul, parmi les quatre évangélistes à insérer le titre de roi au cœur même de la citation du psaume 117 placée sur les lèvres des disciples : « Béni soit celui qui vient, le Roi, au nom du Seigneur. » Celui qui entre solennellement à Jérusalem en ce jour est donc le roi messie envoyé par le Seigneur.
Et les disciples poursuivent en proclamant : « Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux ! » Cette mention de la paix, propre à Luc, nous rappelle le chant des anges à Bethléem : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime » (Lc 2, 14). La paix était alors invoquée pour la terre par des messagers célestes. Maintenant, ce sont des hommes qui annoncent la paix pour le ciel. Au moment où le Fils de Dieu apparaissait sur notre terre, des anges nous annonçaient la paix. Au seuil du mystère pascal, où Jésus doit être enlevé au ciel, les foules annoncent la paix dans le ciel. La paix accompagne le roi messie dans tous ses déplacements. Là où se trouve Jésus, là aussi règne la paix. Les prophètes avaient effectivement annoncé que le messie établirait un règne de paix. Et Michée était allé jusqu’à dire que lui-même, il serait la paix (Mi 5, 4).
Immédiatement après le récit de la procession messianique que nous avons commémorée ce matin, saint Luc nous rapporte la lamentation du Seigneur sur Jérusalem : « Ah ! si toi aussi, tu avais reconnu en ce jour ce qui donne la paix ! » (Lc 19, 42). Cette paix que Jésus veut nous apporter, nous pouvons l’accueillir, mais nous pouvons aussi la refuser. Le récit de la Passion que nous venons d’entendre l’illustre très bien. Plus que les autres évangélistes, Luc nous montre la douceur de Jésus et la paix qui rayonne de sa personne, alors même qu’il est fixé au gibet de la croix. « Père, pardonne-leur, dit-il au sujet de ses bourreaux : ils ne savent pas ce qu’ils font. » L’épisode des deux larrons crucifiés avec Jésus nous montre les deux attitudes que nous pouvons avoir face au pardon qui nous est offert. Soit nous nous enfermons dans notre souffrance et dans notre amertume. Soit nous ouvrons la porte de notre cœur à Jésus en le reconnaissant comme notre roi. Et dès aujourd’hui, il nous donnera sa paix, en nous rendant participants de son royaume. Notre monde a tant besoin de cette paix ! Au cours de ces jours saints qui approchent, portons dans notre prière les nombreux peuples déchirés par la guerre, afin qu’ils ouvrent leurs cœurs au Roi Sauveur et à sa paix !
Et nous aussi, au seuil de cette semaine sainte, accueillons le Christ qui vient à nous dans le sacrement de sa mort et de sa résurrection. Suivons Jésus dans sa passion. Unissons-nous à ses souffrances. Alors, quand il viendra à notre rencontre le jour de Pâques, nous pourrons accueillir pleinement la parole dont il a salué ses disciples et qu’il nous adressera à nous aussi : « Paix à vous ». Amen.
Homélie pour le Jeudi Saint, 17 avril 2025
Lavés dans l’amour du Christ
« Il se mit à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture. » La veille de sa passion, à travers un geste plein de signification, Jésus révèle à ses disciples le sens de ce qu’il est en train d’accomplir. En ce jeudi soir est venue pour lui l’heure si longtemps attendue de passer de ce monde à son Père. Le diable a déjà mis dans le cœur de Judas, l’intention de le livrer. Le processus de la Passion est enclenché. Ce soir, Jésus offre sa vie par amour. Au cours d’un repas, où il nous livre son corps et son sang, il se fait notre serviteur. Il s’agenouille devant chacun de nous pour nous laver les pieds.
Les disciples se laissent faire, sans bien comprendre ce qui leur arrive. Pierre, cependant, proteste. Et sa réaction permet à Jésus de nous expliquer ce qui est en train de se passer : « Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi. » Dans son mystère pascal, qui vient de commencer, le Christ veut nous laver de tout péché pour nous donner part à sa vie. Lui qui n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude, il se met à notre service. Il prend la condition d’esclave. Il se fait obéissant jusqu’à la mort. Il offre sa vie pour nous racheter. Dans ce suprême abaissement, il nous purifie de tous nos péchés. Il nous sanctifie et fait de nous son Église, cette Église pour laquelle il se livre lui-même, « afin de la rendre sainte en la purifiant par le bain de l’eau baptismale » (Ep 5, 25-26). Le lavement des pieds de ce jeudi soir est un signe de ce bain plus profond dans lequel le Christ nous plonge à travers son mystère pascal.
En effet, à Simon-Pierre qui lui demande de lui laver, non seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête, Jésus répond : « Quand on vient de prendre un bain, on n’a pas besoin de se laver, sinon les pieds : on est pur tout entier. Vous-mêmes, vous êtes purs ». Ce bain qui a purifié Pierre et les autres disciples, c’est la mort et la résurrection du Christ. En ce soir du jeudi saint, cette mort et cette résurrection sont imminentes sur le plan chronologique. Mais dans son repas pascal, Jésus les a déjà mystérieusement rendues présentes par anticipation, afin d’y faire participer ses disciples. En partageant la Pâque avec leur Maître et Seigneur, ceux-ci ont été plongés dans sa mort et sa résurrection. Ils ont été entièrement purifiés dans le bain du mystère pascal.
« Quand on vient de prendre un bain, on n’a pas besoin de se laver. » Plongés dans la mort et la résurrection du Christ par leur participation au repas pascal, les disciples n’ont plus besoin de se laver les mains ni la tête. Face à la purification qui nous est donnée dans le mystère pascal, les ablutions rituelles des Juifs sont devenues complètement inutiles. Pourtant, Jésus ajoute une précision : « Quand on vient de prendre un bain, on n’a pas besoin de se laver, sinon les pieds ». Que signifie cette phrase énigmatique ?
Nous qui avons la chance d’habiter près de la mer, nous en faisons l’expérience à chaque baignade. Lorsque nous sortons de l’eau, il nous faut toujours marcher quelques mètres sur la plage avant de rejoindre la serviette de bain qui nous attend. Et inévitablement, nous nous mettons plein de sable sur les pieds ! « Quand on vient de prendre un bain, on n’a pas besoin de se laver, sinon les pieds. » Il en va de même dans la vie de la grâce. Nous avons été entièrement purifiés dans le bain du baptême, mais il nous faut encore marcher jour après jour à la suite du Christ dans notre pèlerinage de foi. Et sur ce chemin, il est impossible que nos pieds ne se salissent pas. Nous aurons toujours un peu de poussière collée à nos pieds à cause des frottements de la vie fraternelle et de nos manquements à la charité. C’est la raison pour laquelle Jésus demande à ses disciples de se laver mutuellement les pieds : « vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres ».
Frères et sœurs, en participant ce soir à la Cène du Seigneur, nous sommes plongés et purifiés dans sa mort et sa résurrection. Suivons l’exemple que Jésus nous a donné. Lavons-nous les pieds les uns aux autres. Pardonnons-nous mutuellement les torts que nous nous faisons chaque jour. Laissons-nous envahir par cet amour infini de Jésus. Et puisqu’il a donné sa vie pour nous, avec lui, donnons nous aussi notre vie pour nos frères (1 Jn 3, 16). Amen.
Homélie pour le Vendredi Saint, 18 avril 2025
O crux ave, spes unica
O crux ave, spes unica ! Ce verset de l’hymne Vexilla regis que nous chantons durant le temps de la Passion brille d’un éclat tout particulier en cette année jubilaire consacrée à l’espérance. Oui, la croix est notre unique espérance. En ce vendredi saint, nous célébrons le mystère vers lequel convergent tous les espoirs de l’humanité. Le Calvaire est le point culminant de l’histoire du salut. Toutes les grâces données aux hommes proviennent de la croix, et c’est vers elle aussi que Dieu oriente le regard de tous ceux qui crient vers lui dans leurs malheurs.
Il y a déjà fort longtemps, alors que la terre connaissait, à cause de la méchanceté des hommes, un dérèglement climatique sans précédent, la survie du genre humain se trouvait en grand péril. Des pluies diluviennes n’avaient cessé de tomber depuis des mois. Les rivières commençaient à déborder et l’on voyait partout des champs inondés. Peu à peu, l’inondation gagnait les villes : celles de la plaine d’abord, puis celles des hauts plateaux. Les hommes avaient beau fuir en se réfugiant dans la montagne, ils étaient rattrapés par les flots. Les sommets eux-mêmes allaient bientôt se retrouver submergés. C’est alors que Dieu commanda à Noé de construire une arche en bois de cyprès afin de le soustraire à la noyade collective. Il signifiait ainsi que, par le bois, il sauverait un jour l’humanité des conséquences de son péché. Et en commentant le récit du déluge, au cours duquel l’espoir du monde avait trouvé refuge sur un radeau, le livre de la Sagesse s’exclame : « Béni est le bois par lequel advient la justice ! » (Sg 14, 7).
Quelque temps plus tard, quand les Hébreux poursuivaient leur marche au désert après avoir échappé à la main de Pharaon, ils arrivèrent à Rephidim. Et voilà que, sans crier gare, les Amalécites survinrent et s’attaquèrent aux fils d’Israël. Que pouvaient bien faire de pauvres esclaves fugitifs avec leurs femmes et leurs enfants face à tous ces guerriers bien armés ? L’immense espoir suscité par la traversée de la mer Rouge semblait déjà réduit à néant. « Moïse dit alors Josué : « Choisis des hommes, et va combattre les Amalécites. Moi, demain, je me tiendrai sur le sommet de la colline, le bâton de Dieu à la main. » » (Ex 17, 9). Puis il gravit la montagne, muni de ce bâton par lequel le Seigneur avait déjà accompli tant de prodiges. Et comme il priait, les mains levées vers le ciel, Dieu accorda la victoire à son peuple. Ce bâton préfigurait la croix, sur laquelle Jésus, les bras étendus lui aussi, nous délivrerait un jour de tous nos ennemis.
Continuant une pérégrination qui leur semblait interminable, les fils d’Israël se mirent à récriminer contre le Seigneur. Surgirent alors des serpents brûlants, dont la morsure fit périr beaucoup de personnes parmi le peuple. Comme Moïse intercédait en leur faveur, Dieu lui ordonna de fabriquer un serpent d’airain et de le placer au sommet d’un mât. Quiconque regarderait le serpent d’airain après avoir été mordu serait sauvé. Le bois du mât annonçait celui de la croix. De même qu’un regard porté sur le serpent d’airain apportait l’espoir de la guérison, ainsi celui que l’on porte en direction du Crucifié nous rend l’espérance du salut.
Ces trois exemples tirés de l’Ancien Testament nous montrent que dans tous leurs malheurs, Dieu a orienté le regard des hommes vers la croix. C’est elle qui nous délivre de tous les dangers dans lesquels nous avait plongés le péché. Elle seule peut nous libérer des catastrophes naturelles, des ennemis et des maladies, qui nous affligent depuis que nous sommes détournés de Dieu. La croix seule a rendu l’espérance à notre humanité en quête de salut. Jetons vers elle un regard rempli d’une immense confiance. Présentons au Crucifié toutes nos détresses et celles de notre monde, afin que tous les hommes puissent enfin ouvrir leurs cœurs et accueillir dans leur vie cette unique espérance ! Amen.