Homélie pour les obsèques de Sœur Anne-Marie Thomas, à l'abbaye St Michel, le 12 août 2020

Lectures : Sg 3, 1-9 ; 2 Tm 2, 8-13 ; Mt 11, 25-32

Quelle idée d’avoir choisi la vie monastique, chère sœur Anne-Marie, franchement ! Aux yeux de notre monde et à vues humaines, un tel choix de vie s’inscrit habituellement dans la catégorie des activités d’inutilité commune reconnue, choix marqué au coin d’une formule lapidaire : « être moniale, ça ne sert à rien ». Et c’est vrai ! Oui, la vie monastique ne consiste pas à servir à quelque chose de franchement visible, mais bien à servir quelqu’un, à se mettre au service de l’Invisible. Cette vérité fut inscrite dans l’une des constitutions dogmatiques du second concile du Vatican : « L’homme, seule créature que Dieu a voulue pour elle-même, ne se trouve pleinement que dans le don désintéressé de lui-même ». Se donner sans retour ! Aux yeux de celle ou de celui qui s’y engage, cette école du service du Seigneur propose d’offrir absolument toute sa vie. Et c’est ainsi que sœur Anne-Marie fut comblée. Comme le dit le grand saint Jean Chrysostome « la vierge n’est pas une femme qui a renoncé à se marier ; mais une femme qui a renoncé à se marier avec une créature ». Tout est là : embrasser Dieu permet à chaque créature de se donner tout entier : aucune autre alternative ne s’offre à celle ou celui qui porte un tel désir. C’est « Dieu ou rien », comme le proclame le titre d’un livre. Créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, chacun d’entre nous porte une soif surnaturelle inextinguible, que seul Dieu peut assouvir.

Notre Seigneur qui aime tout ce qui existe et qui prend soin des plus petites fleurs des champs, a choisi de recevoir le 11 juillet 1935 dans l’Église catholique la petite Anne-Marie née la veille, le jour même de la saint Benoît d’été. Il n’est pas interdit de penser qu’en réalité ce soit Benoît lui-même qui ait réclamé cet âme, discernant fort justement combien elle enrichirait les phalanges monastiques des moniales entièrement consacrées au service du Seigneur. C’est donc à l’école de saint Benoît, que sœur Anne-Marie choisit à 20 ans de chercher cette eau vive qui la conduirait vers son Seigneur.

Cette vocation est particulière et il convient d’en dire un mot. Parce que la femme a la vocation spécifique d’être épouse et mère, elle a un lien particulier avec l’Église, une capacité particulière à être figure de l’Église… ainsi la vocation et la mission des moniales de clôture est « le signe de l’union exclusive de l’Église-Épouse avec son Seigneur, aimé par-dessus tout ». La clôture qu’a vécu sœur Anne-Marie au milieu de ses sœurs et avec elles signifie l’exclusivité de l’appartenance au Christ… La séparation d’avec le monde donne à toute la vie cloîtrée une valeur eucharistique. 1

Et c’est justement dans le service liturgique que notre sœur exercera longtemps ses dons en confectionnant des ornements. Pendant des années ensuite, cette bretonne sut aussi offrir aux hôtes qui venaient à la porterie amabilité et délicatesse, témoignant ainsi de tout le travail de douceur que peut opérer la charité de Dieu dans un cœur aussi déterminé que peut l’être un cœur breton ! Puis par une sorte de redditus ou de retour vers l’origine, le Seigneur l’attira doucement dans la réalisation de ces plaquettes de saint qui étaient vendues à la porterie (et le sont encore d’ailleurs). Sans qu’elle ne s’en rendit compte peut-être, Dieu lui montrait ainsi le but de sa vie : marcher sur le chemin de ceux qui n’ont rien de plus cher que le Christ : les saints. Dieu l’attirait toujours plus à Lui en réponse à cette attente quotidienne que moines et moniales reprennent sans cesse : suscipe me domine…, reçois-moi Seigneur et je vivrai !

Dieu qui n’abandonne jamais ses créatures continua d’accompagner celle qui s’était toute entière donnée à Lui, jusque dans la nuit de la maladie. On ne peut que retenir son souffle en posant le pied au seuil de cette invitation divine à le suivre jusque dans ces nuits. Qu’il a fallu de confiance de la part de Dieu pour inviter ainsi votre sœur Anne-Marie à passer six années dans cette intimité sponsale mystérieuse.

Rendons grâce à Dieu pour cette vie donnée, et prions ensemble Dieu de montrer à notre sœur Anne-Marie sa Sainte Face, s’il ne l’a déjà fait.

Amen

1 Extrait d’une conférence de Mère Claire de Sazilly, en avril 2015.

+ frère Laurent de Trogoff, prieur administrateur

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