Homélie pour la Nuit et le Jour de Noël


La Nuit de Noël

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« Une troupe céleste innombrable [qui] louait Dieu ». La joie, en cette nuit de Noël, est universelle. Elle rejoint le monde créé dans son ensemble, humain et angélique. Mais la joie est d’abord une affaire d’enfance. Elle fut sans doute créée d’un même élan, avec la joie, comme pour lui donner une solide assise. Pour nous figurer le tintamarre qu’ont bien dû faire ces troupes angéliques célestes en liesse, il nous faut laisser monter au bord de notre âme ces éclats de joie des enfants qui – comme on le dit – s’en donnent à cœur joie ! Les voici les vrais adorateurs, ces enfants-bergers, que les anges sont allés trouver pour les conduire vers une joie toute neuve, toute vraie, toute irradiante de lumière, de bonheur et de simplicité, une joie qui n’en finit pas, une joie surgie de la Vie qui a déjà vaincu. Mais une joie cachée et discrète à la fois. Car Dieu qui vient prendre notre humanité, vient pour cela : s’enfouir là où seuls pourront venir le trouver ceux qui ont un cœur d’enfant. Dès le principe de son apparition sur cette terre Dieu ne pense qu’à se cacher. Se cacher pour faire une surprise, comme les enfants savent le faire. Se cacher en ce sanctuaire grottesque qu’il pensa dès avant la création du monde. Et c’est vers cette grotte que les anges orientent nos enfants bergers :

« Debout levez-vous, vous qui dans le temps fûtes humiliés. Vous qui fûtes en silence parlez, car votre bouche fut ouverte. Vous qui fûtes dédaignés, car votre justice fut exhaussée »1.

Ainsi l’anonyme chantre des Odes de Salomon annonce que tout cela fut voulu et prémédité. Dès le commencement du monde tout cela fut prévu, discerné, délibéré par Dieu. Dès le commencement Dieu créa l’enfance à l’image et à la ressemblance de ce petit Enfant-Dieu qui repose doucement et dans la confiance, entre les bras de sa jeune maman éblouissante de cette joie de son Enfant qui la reflète sur elle et par elle. Et Marie en est toute enamourée.

À ces enfants bergers qui ne savent pas faire semblant – car l’enfance fut créée droite et simple et rieuse – à ces joyeux enfants qui sont des bergers, de vrais bergers, Dieu réserve la contemplation du visage de son Fils devenu enfant, Nouveau-né tout tiède, bercé dans les bras de sa toute jeune maman dont le cœur bat à l’unisson de son nourrisson. Et c’est alors que la joie leur prend au cœur, car le Salut leur est apparu : il a désormais un visage dont le sourire leur parle de son Cœur. C’est qu’ils comprennent déjà ce que Dieu révèle aux tout-petits.

À l’invitation des troupes angéliques, épousons l’agilité nocturne et enfantine de nos bergers, et laissons-les nous conduire auprès de ce petit enfant Dieu venu exprès pour nous sauver et nous donner accès à la filiation divine.

« Sa grandeur, sa douceur l’apetissa. Il fut comme moi pour que je le reçoive ; en semblance, il fut compté comme moi, pour que je le [re]vête »2.

1Bovon François, Geoltrain Pierre et Voicu Sever J., Écrits apocryphes chrétiens, Paris, Gallimard, 1997 (Bibliothèque de la Pléiade 442), Odes de Salomon n°8, 3-5.

2Ibid, Odes de Salomon n°7, 4.


Jour de Noël

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« Écoutez le Verbe de vérité, recueillez la connaissance du Très-Haut. Votre chair ne connaîtra rien que je vous dise, ni votre vêtement rien que je vous montre »1.

C’est avec ce mystérieux chantre du début de l’ère chrétienne, compositeur syriaque des Odes de Salomon, que nous avons ouvert ensemblecette Douce Nuit voici quelques heures. La pensée et le style de l’auteur syriaque sont d’une harmonie tout à fait frappante avec la contemplation à laquelle Jean le théologien nous invitait il y a un instant.

En ce matin de Noël, l’Église nous fait entendre un évangile aux lignes profondes qui peuvent étonner. Nous nous sentons peut-être un peu loin de la douceur d’une crèche, loin de la légèreté de la vie nocturne où les enfants aiment à épier les chouettes qui hululent leurs invitations à tourner nos regards vers l’Étoile singulière de Bethléem. Jean, lui, nous invite à tourner les yeux de notre âme vers le commencement du monde qui ouvre d’un même élan et nos Bibles et l’Histoire de notre salut. Dieu qui a tout créé dans le Christ vient maintenant prendre part à sa création dans ce même Christ. Il descend se mèler à sa création. Il le fait pour sauver l’homme qui s’est perdu dans les méandres sinueux d’un péché abyssale.

En relisant le prologue johannique à la lumière de la Genèse, nos comprenons que l’homme n’est pas seulement fils de la terre, mais qu’il a aussi et d’abord été façonné à l’image du Fils venu dans notre chair aujourd’hui, c’est à dire dans le Christ. Aussi Dieu ne peut-Il se résoudre à perdre celui qu’Il a créé pour le bonheur de Le voir. C’est pourquoi il nous est annoncé en cette heure que la Vie éternelle « a pris » en terre : la vie a réussi ! Et cette Vie a tellement bien pris que le Verbe s’est fait chair afin de nous rejoindre et d’illuminer tout homme de sa Lumière inaccessible. Recouvrant sa divinité dont la Lumière incréée aurait éternellement aveuglé l’homme, Dieu vient se faire petit comme un homme. En cet Enfant, l’éternité de Dieu nous rejoint et nous invite à rejoindre Dieu, mystérieusement. La Vie éternelle s’est rendue visible et se propose à notre contemplation en vue de nous rencontrer.

« Le Fils du Très-Haut se rendit visible en la plénitude de son Père. La Lumière brilla dès sa Parole, celle qui dès avant fut en elle. Le Messie en vérité est un, il fut connu dès avant le lancement du monde »2.

Le miracle de Noël ne s’appréhende pas avec de la technique, mais plutôt avec une humble simplicité, bien timide, et une foi droite, bien exacte, c’est à dire avec une humilité et une foi toutes deux mariales. Car Marie adore elle aussi, exsultant devant le fruit béni de ses entrailles, qu’elle peut enfin contempler de ses yeux de chair, grâce à Celui qui a pris chair de sa chair et dont les traits du visage ne parle que d’Elle. Oui c’est bien de foi dont il s’agit. Et tout cela par Marie. Car l’« infans » de cette nuit – qui ne parle donc pas encore – en dit tellement long à Celle qui l’attend depuis des mois. « Enfin, le Sauveur est là, qui vient nous sauver » nous dit-Elle en son cœur. Et sur ses lèvres, ces paroles salvifiques prennent une densité qu’aucune créature jusque-là n’avait osé affirmer. En cet instant, seuls Marie et Joseph le savent dans le secret de leurs cœurs : Jésus est le Sauveur !

Le petit enfant, Lui, nous parlera bientôt de son Père pour qu’à ceux qui Le recevront Il donne l’ineffable grâce de la filiation divine adpotive, nous appelant à devenir ses frères et même jusqu’à ses amis, moyennant notre foi. Oui, en devenant notre frère, Jésus nous offre de devenir fils et filles de Dieu pour l’éternité. Tel est le salut de Dieu. Et tout cela par Marie !

Voilà Noël ! Voilà la Joie de Noël. Puisse-t-elle nous revêtir tout entier comme notre Sauveur a revêtu notre humanité afin de nous donner part à sa divinité, pour que sa joie soit en nous et que notre joie soit complète.

Accordons-nous donc tous unanimes sur le Nom du Seigneur, honorons-le en sa Grâce. S’illuminent nos visages en sa Lumière, murmurent nos coeurs en son Amour. En la nuit, en la journée, jubilons de la jubilation du Seigneur3.

1) Bovon François, Geoltrain Pierre et Voicu Sever J., Écrits apocryphes chrétiens, Paris, Gallimard, 1997 (Bibliothèque de la Pléiade 442).

2) Ibid, Odes de Salomon n°41, 13-15.

3) Ibid, Odes de Salomon n°41, 5-7.


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