Homélie pour la messe du 8septembre 2021, jubilé de Sr Odile à l'abbaye St Michel de Kergonan

La nativité que nous célébrons ce matin est, comme chaque nativité, un commencement, au moins aux yeux des hommes. Ce commencement visible fait suite à un commencement invisible, initialement connu de Dieu seul à l’instant de la conception de la créature. Oui, une nativité est un commencement, le commencement d’un acte unique : la vie !


Lorsque nous recevons des hommes au réfectoire, dans l’abbaye voisine, il arrive parfois qu’ils soient accompagnés d’un de leurs enfants ou même de plusieurs. Souvent lorsqu’il y a un assez jeune enfant, je lui demande : quel âge as-tu ? La réponse à la question tombe nette avec une précision exacte. Par exemple : « cinq ans et demi ! ». Un commencement c’est très précis, et les premières années de nos vies sont marquées par ces exactitudes enfantines.

À mesure que l’on s’éloigne du point d’origine, du commencement initiale, le temps semble prendre une autre dimension, et seules restent les dizaines. Il arrive en effet qu’à ses tournants de nos vies quelque chose de notre cœur d’enfant brille encore un instant dans nos yeux. Tout passe tranquillement sans qu’on s’en rende compte et puis un jour on prend conscience que ça dure depuis un bon moment. Le verset du psaume – que l’on a pu murmurer tant et tant de fois – prend une saveur différente « Le nombre de nos années ? soixante-dix, quatre-vingts pour les plus vigoureux » (Ps 89, 10). Qu’y a t-il donc après la vigueur des 80 premières années ? C’est le secret de ceux et celles qui y parviennent, portés par la grâce de la vie. Ainsi l’étonnement des premiers ans revient doucement comme pour vérifier où en est notre cœur d’enfant. Et Dieu sourit, Lui, qui est ante saecula et usque in saeculum !


Ce sourire de Dieu n’est pas moqueur : Dieu s’intéresse à l’histoire de l’homme qu’il a créé, comme le livre de la Bible nous le raconte à chaque page. Dieu se mêle à notre histoire. Et cela est allé jusqu’à l’Incarnation. Et la Rédemption et la vie éternelle ! La fête de ce jour nous en parle.

En un commencement, Marie a été préparée pour un appel. Et un beau jour, un très beau jour, cet appel a pris chair. En effet, Dieu a demandé Marie. Il n’a pas demandé quelque chose « de » Marie. Il a demandé Marie tout-entière. Et Marie « suit ». Elle se livre totalement, entièrement : Annonciation, Nativité de Jésus, vie cachée, Passion, Résurrection. Partout, toujours, Marie suit ! Ce jour-là, le jour de cet appel de Dieu dont l’écho lui est parvenu par la bouche de l’archange Gabriel, Marie a choisi de suivre. Son « fiat » peut tout à fait entre rendu avec un beau dynamisme par « nunc sequor ! » Vous comprenez sœur Odile, n’est-ce pas ?


Le chemin que Marie a parcouru comporte une portion que nous connaissons mal , mais qui est d’une importance capitale. Je l’appellerai l’« Ecclésiation ». Marie devient une présence, une présence silencieuse, pour une mission propre. Après avoir été actrice de la naissance de Jésus quelques 50 années plus tôt, Marie préside à la naissance de l’Église. Jusque-là Dieu « agissait » Marie, dans une synergie théandrique merveilleuse ; maintenant Marie passe au second plan et devient « mission cachée» pour environ 20 ans. Cachée aux yeux de tous, veillant dans la prière, l’amour, l’absolue consécration à Dieu. Et puis environ 20 ans plus tard, c’est Assomption à 70 ans d’après la Tradition. Saint Jean-Paul II écrit dans Mulieris dignitatem « Marie est le témoin du nouveau «commencement» et de la «création nouvelle» (cf. 2 Co 5, 17). Bien plus, elle-même, première rachetée dans l’histoire du salut, est une « création nouvelle »: elle est la «comblée de grâce» (MD n°11).


D’une certaine manière, ce chemin de la Vierge-Marie, est aussi le premier chemin de la consécration virginale, monastique, absolue qui fait d’une moniale « une créature nouvelle ». Dieu demande, appelle, sollicite. Pour une mission ! Dès le commencement, dès les premiers mots de l’Annonciation Marie devient prière, seule réponse possible pour Elle, qui choisit de ne lus rien vivre en dehors de Dieu. Toute sa vie la conduira à devenir Celle que la Tradition appellera justement Omnipotentia supplex, la toute-Puissance à genoux.


Le 8 septembre 1951 fut un commencement pour vous sœur Odile. Et c’est aujourd’hui les 70 ans de ce commencement ! Et vous avez choisi de suivre en tenant une main ! « nunc sequor ». En effet, « nunc » en français se traduit « maintenant » qui est composé de ces deux mots « main » et « tenant ». Cette main est celle de Dieu, mais puisque vous en avez deux, l’autre n’a-t-elle pas caressé celle de la Vierge-Marie ?


Soixante-dix, en hébreu, correspond à la lettre « aïyn », qui signifie l’œil, l’œil qui voit, comme la foi qui voit elle aussi après avoir cheminée. D’après le prophète Isaïe, c’est aussi la durée des jours d’un roi (Is 23,15). Le livre des Nombres nous apprend aussi que les hébreux commencèrent leur séjour en Égypte à 70. Enfin, d’après la gematria, la valeur numérique de la sagesse, en hébreu, est de 70. Ce chiffre indique quelque chose de complet dans le rapport Dieu hommes. Un certain nouveau commencement donc !


C’est moi qui parle, mais c’est Dieu qui sait ! Et vous aussi, sœur Odile.

Au nom de l’Église, je vous remercie pour votre fidélité, votre prière, votre « oui ».

Suivez encore longtemps l’Agneau, où qu’Il vous mène, au milieu de vos sœurs.

Amen

+ frère Laurent de Trogoff, prieur administrateur

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